Lettre publiée initialement en novembre 2018.
Mon cher lecteur,
Le Brexit et la crise italienne sont les deux faces d’une même pièce.
D’un côté, les salariés anglais en ont eu assez de la concurrence à bas coût des travailleurs d’Europe de l’Est et plus généralement de l’immigration extra-européenne.
De l’autre, les Italiens ne supportent plus la tutelle financière de la Zone Euro qui a fini par les rendre plus pauvres qu’avant l’Euro.
Cela va ensemble, vous allez voir.
Cette lettre n’a pas vocation à juger ces choix ainsi que vous le suggèrent ad nauseam les médias grand public, toujours plus prompts à juger qu’à penser.
Le débat ne m’intéresse pas. Je lui préfère le mécanisme qui rend ces événements inéluctables et dont on ferait bien de parler un peu plus.
À vrai dire, ce n’est pas très compliqué. Le Brexit et la crise italienne sont deux expressions du même problème : les Européens ne sont pas un peuple.
Le mythe de la souveraineté européenne
Le mot peuple est important. Malheureusement journalistes et politiques entretiennent une confusion mauvaise entre peuple, nation, patrie, société, pays…
Je parle ici de peuple en tant que Souverain.
C’est la définition de la démocratie : la souveraineté du peuple.
C’est dans la première phrase de notre constitution :
« Le Gouvernement de la République, conformément à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, a proposé,Le peuple français a adopté,Le président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit : »
Le peuple, c’est quelque chose sur lequel on ne s’essuie pas les pieds impunément, c’est le fondement même de nos régimes démocratiques. C’est lui qui décide en dernier ressort. Et quand ce n’est plus le cas, cela se termine généralement comme l’URSS en plus ou moins longtemps.
Philippe Seguin parlait au moment de Maastricht, et cela raisonne à mon cœur, de communauté de destin.
Ce qui fait un peuple c’est le partage d’un destin commun, ce destin étant orienté par un certain nombre de choix… Le Brexit est un choix souverain, les dernières élections italiennes qui ont envoyé valser les équilibres politiques en sont un autre. Le référendum pour la constitution européenne de 2006 aurait dû en être un en France et il montre qu’il n’y a pas de communauté de destin européenne aujourd’hui.
Il n’y a pas de peuple européen.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura jamais.
Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas en formation.
En revanche à trop forcer la nature, ils ont tout cassé. Le mal est fait.
Macron l’Européen idéologue a 26 % d’opinions favorables, les gilets jaunes, pratiques et pragmatiques, en ont 77 %. Je peux déjà vous donner le vainqueur de la confrontation. La seule incertitude sera l’étendue des dégâts.
Il existe mille manières de montrer que les Français sont un peuple (les gilets jaunes en sont une), mais pas les Européens. N’étant ni philosophe, ni historien, ni politique, ni artiste, je me contenterai d’une raison bassement pragmatique et économique.
Échange argent contre bras
Chaque année, la Région Île-de-France, la plus riche du pays, envoie environ 20 % de la richesse créée aux autres régions de France, moins fortunées, sous forme d’aides diverses et transferts.
En sens inverse, si vous avez grandi à Guéret, Arras ou Périgueux, il est probable que vous irez chercher du travail, si ce n’est à Paris, du moins dans une grande métropole régionale, où vous serez convenablement accueilli.
Cela vous sera peut-être pénible, mais vous le ferez et les Parisiens peuvent bien faire leurs têtes de chiens, je n’en connais aucun qui trouve que les Corréziens lui piquent son boulot, ni outrancier d’envoyer de l’argent en Corrèze… Même le panier percé corse ne nous est pas si amer.
Je suis d’ailleurs à peu près sûr que vous ne vous êtes jamais posé ces questions tant c’est naturel.
Ces flux d’hommes et de richesses sont bien plus importants qu’une langue ou une monnaie commune.
Et d’ailleurs, ce sont ces flux qui amènent l’usage de langues et monnaies communes et non l’inverse. Ce sont des lois de la nature contre lesquelles le plus brillant des technocrates bruxellois ne peut rien :
Aujourd’hui, un Allemand refuse catégoriquement d’envoyer de l’argent en Grèce, en Italie ou en Espagne.
Inversement, les Grecs répugnent à aller travailler en Allemagne, tout comme les ouvriers Français ne sont absolument pas prêts à aller rejoindre leurs usines qui ont foutu le camp en Pologne ou même dans la Ruhr allemande.
Cela peut vous déplaire, mais c’est une observation implacable. Ils peuvent bien tous parler anglais et avoir l’Euro comme monnaie, cela ne change rien : une loi de la nature.
À moins de déplacer les uns et de prélever les autres de force, il n’y a pas de solution, d’ailleurs Bruxelles l’accepte le plus tranquillement du monde, oui, ceux-là mêmes qui traitent tous leurs opposants de fascistes.
Si vous trouvez que j’exagère, regardez les manières de la Troïka en Grèce, l’échec de Macron à revenir sur la directive Bolkenstein sur le travail détaché, les lois sur les faillites bancaires et assurantielles…
Le coût caché de l’Europe
Mais nous n’en sommes pas encore là. Quand l’usine Whirlpool d’Amiens a fermé ses portes au printemps pour aller en Pologne et gagner 5 % de productivité sur le prix de son sèche-linge, les ouvriers sont restés sur le carreau et vont coûter bien plus à la collectivité en aides économiques et sociales que les 5 % de trop…
C’est un effet pervers méconnu de l’Europe turbo libérale : elle vous coûte bien plus cher socialement qu’elle ne vous fait gagner en pouvoir d’achat. Et vous savez pourquoi ? Parce que nous sommes un peuple, et que nous n’abandonnons pas les nôtres, du moins nous ne devrions pas.
Aujourd’hui, le peuple britannique ferme son marché du travail et le peuple italien cherche à s’extraire de la main de l’Allemagne qui refuse tout autant de payer que d’accepter leur sortie de la monnaie unique. Ces deux réactions témoignent de peuples qui refusent de se faire dissoudre dans la soude européenne.
Brexit : l’échec des uns est le succès des autres
Il est trop tôt pour savoir ce qui va se passer en Italie, mais au Royaume-Uni, les salaires ont augmenté depuis le Brexit, la baisse de la livre dope les exportations et les prix de l’immobilier baissent à Londres qui redeviendra peut-être accessible à la classe moyenne britannique. C’est terrible, vous disent les journaux qui crient à la déroute immobilière et à la perte de compétitivité mais c’est exactement pour cela que les Britanniques ont voté le Brexit.
J’ai lu aujourd’hui une énorme ânerie dans la presse, d’autant plus grosse qu’elle paraissait intelligente. Un journaliste émoustillé par son bon mot décryptait :
« Le Royaume-Uni a bâti sa puissance autour de deux principes : garder unies les îles britanniques et le continent européen divisé. Aujourd’hui, il est en passe de réussir l’inverse. »
Cela fait sûrement chic dans les dîners mais c’est s’arrêter avant même la surface d’un sujet qui mérite un peu plus de profondeur.
Avec le Brexit, le Royaume-Uni tente de réunir son élite et son peuple pendant que l’Europe continentale sombre dans la crise d’une construction qui dépossède les peuples.
Vraiment, c’est en Europe que la crise s’installe, pas au Royaume-Uni.
2 recommandations
À moyen terme, achetez de la Livre et vendez de l’Euro. Depuis le vote du Brexit, la Livre évolue de manière stable entre 1,15 et 1,20 €. Ne croyez pas la presse française qui vous dira de toute manière, par propagande, que le Royaume-Uni s’enfonce dans la crise. La réalité est que les exportations progressent ainsi que le PIB depuis le début de l’année, alors même que le risque d’un « no deal » planait et que l’Europe, elle, ralentissait.
Dans tous les cas, il est suicidaire de ne pas assurer votre capital contre une crise de l’Euro, c’est-à-dire d’avoir une partie de votre patrimoine libellé dans une autre devise que l’Euro et conservé en dehors des banques de la Zone Euro.
À votre bonne fortune,
Guy de La Fortelle,
L’Investisseur sans costume